Conférence : un monde en polycrise, comment développer son pouvoir d’agir dans un monde incertain
À l’occasion de la Journée Annuelle des Fondations abritées, organisée le 2 octobre 2025, la Fondation Caritas France a eu l’honneur d’accueillir Matthieu Dardaillon, entrepreneur, auteur et conférencier de renom. Fondateur de Ticket for Change, association dédiée à l’éveil et à la mobilisation des talents individuels au service des grands défis contemporains (changement climatique, lutte contre la pauvreté, inclusion sociale…), il occupe également la fonction de co-président de la Convention des Entreprises pour le Climat. À ce titre, il s’impose comme une figure majeure de l’engagement citoyen et de l’innovation sociale.
En ouverture de cette journée, Matthieu Dardaillon a partagé les principaux enseignements de son ouvrage Anti-Chaos, Le livre-boussole pour reprendre la main sur votre avenir. Ce dernier propose des repères concrets et inspirants pour renforcer le pouvoir d’agir de chacun, qu’il soit philanthrope, acteur associatif, entrepreneur ou citoyen engagé.

A l’origine, un sentiment d’impuissance
Le sentiment d’impuissance face aux multi-crises qui traversent notre monde est la cause principale de l’apathie qui touche la majorité des personnes et qui freine leur capacité à agir. Pour le comprendre, Matthieu Dardaillon décrit trois phénomènes :
- L’immense complexité des défis qui touchent simultanément la société : retour des guerres, incertitudes économiques, inflation, effondrement environnemental, surcharge informationnelle,… Ces problèmes sont « pernicieux », car les facteurs qui les composent s’entremêlent et forment un ensemble difficile à résoudre. La lutte contre la pauvreté est un exemple criant. La santé, le logement, l’emploi et la mobilité sont étroitement liés et s’influencent mutuellement, rendant toute action isolée difficilement efficace.
- L’accélération du temps, du rythme de vie et des sociétés ne permet pas d’aller en profondeur sur des enjeux pourtant centraux pour l’avenir de la société.
- La polarisation qui touche les débats empêche d’avancer collectivement alors que la société doit investir de nouvelles manières de faire et de vivre ensemble.
La fin d’un modèle
Ces multi-crises qui traversent le monde démontrent que notre modèle de civilisation n’est plus souhaitable. “Notre modèle repose sur une vocation principalement économique basée sur la domination de la nature et les humains”, explique Matthieu Dardaillon. “Ce modèle a permis un niveau de développement jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Par contre, on connaît les dérèglements environnementaux, ça crée des inégalités à mesure que ça crée de la richesse et ça fait exploser les problèmes de santé mentale. C’est la racine de tout ce qu’on vit.”
La résolution de ces problèmes doit passer par la création d’un nouveau modèle de société basé sur un équilibre social, économique et environnemental qui privilégie la qualité des biens et des liens plutôt que leur quantité. Pour illustrer ce propos, Matthieu Dardaillon cite Albert Einstein : “on ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui génère le problème”.
Changer de paradigme de pensée : l’étape de la “recherche extraordinaire”

Alors comment changer notre paradigme de pensée actuelle ? En s’appuyant sur les travaux de Thomas Kuhn, historien des sciences, Matthieu Dardaillon décrit 4 étapes pour changer de paradigme. La première étape correspond au modèle actuel. La deuxième étape consiste à prendre conscience des anomalies de ce modèle. La troisième étape, celle dans laquelle notre société se trouve actuellement, est surnommée “la recherche extraordinaire”:
“Ce sont des gens qui vont chercher à trouver des alternatives, qui vont partir de leur courant de pensée ou de leurs essais sur le terrain et qui vont expérimenter de nouvelles manières de faire les choses. Pour moi on y est très précisément aujourd’hui : l’économie sociale et solidaire, l’entrepreneuriat social, l’économie régénérative, la post-croissance … Il y a une ingéniosité en cours qui est assez vertigineuse. […] Un nouveau paradigme peut émerger si tout ça dépasse les résistances de l’ancien paradigme”.
Par conséquent, surmonter ces résistances aboutirait à la création d’un nouveau modèle de société respectueux du vivant et des enjeux sociaux.
Lever les freins à l’impuissance pour développer son pouvoir d’agir
Pour Matthieu Dardaillon chacun a donc un rôle à jouer dans cette phase de “recherche extraordinaire” pour inventer un nouveau modèle de société basé sur un équilibre social, économique et environnemental. Il a développé quatre principes pour développer son pouvoir d’agir :
- S’autoriser à rêver malgré la crise : pour Matthieu Dardaillon “les imaginaires précèdent l’action. […] Il faut imaginer ce que l’on veut vraiment et pas ce que l’on croit possible”. Autrement dit, pour avoir des idées créatives il faut oser diverger.
- Associer idéalisme et pragmatisme : il est aussi nécessaire d’accepter de naviguer dans l’incertitude, d’être souple, de travailler avec flexibilité et de tirer profit des surprises.
- Créer des environnements d’innovation : Lors des grandes périodes historiques d’innovation, comme à Florence pendant la Renaissance ou dans la Silicon Valley, l’innovation reposait sur l’émergence d’un génie collectif a expliqué Matthieu Dardaillon : “Il faut créer les conditions d’émergence des innovations pour faire émerger quelque chose de nouveau et créer des écosystèmes ouverts qui travaillent mieux entre eux : philanthropes, associations, entreprises, acteurs publics”.
- Cultiver la joie : enfin, Matthieu Dardaillon a ajouté que selon le philosophe Spinoza, la joie est liée au développement du pouvoir d’agir. La joie permet de rendre désirable un autre modèle de société et de montrer l’exemple.
Quel rôle pour la philanthropie ?
Alors que le monde actuel est à bout de souffle, le défi commun est de faire émerger un nouveau modèle de société. Pour Matthieu Dardaillon, les philanthropes ont la capacité unique de financer ce que les autres ne peuvent pas financer, de faire confiance et de donner du pouvoir d’agir à ceux qui essayent d’inventer un nouveau modèle. De plus, la philanthropie a la capacité de penser sur le temps long et sur plusieurs générations : “les philanthropes peuvent être ceux qui investissent sur le temps long, qui font confiance et qui vont financer celles et ceux qui vont faire émerger un nouveau modèle de société”.
Pour qu’un modèle se transforme, on a besoin des “oiseaux rares” : “Ce sont les associations qui créent les innovations et qui permettent de faire basculer l’ensemble du système. Ce sont ces personnes qu’il ne faut pas lâcher aujourd’hui”, a illustré Matthieu Dardaillon.

Il a conclu son intervention par une citation de Ilya Prigogine, prix Nobel de Chimie : “lorsqu’un système est loin de l’équilibre, des petits îlots de cohérence [les associations] dans une mer de chaos ont la capacité d’élever l’ensemble du système vers un ordre supérieur”.
Renforcer ces îlots de cohérence, c’est inciter les pouvoirs publics à prendre en main ces innovations sociales, économiques et environnementales pour les diffuser à l’ensemble de la société.