Prix de Recherche Caritas 2019 - Anne-Sophie Ranaivo, le droit et le SDF
Créée sous l’égide de l’Institut de France, la Fondation de Recherche Caritas finance des recherches sur la précarité, la charité et la solidarité. Elle décerne, à l’occasion de son colloque annuel sur la pauvreté, le Prix de Recherche Caritas, doté de 10 000 euros, à un jeune chercheur en sciences sociales, pour épauler une recherche, une publication ou un projet de recherche innovant.
A l’occasion de ses 10 ans, la Fondation Caritas France vous propose de revenir sur le parcours des 10 lauréats du Prix Caritas.
Anne-Sophie Ranaivo, sans-abrisme et droit(s)
Anne-Sophie Ranaivo a reçu le deuxième Prix de Recherche Caritas en 2019 pour sa thèse: « Sans domicile fixe et droit ». Elle y étudie notamment les différents aspects du droit s’appliquant aux personnes vivant à la rue et ce alors que le Prix Caritas France récompense habituellement des travaux qui touchent davantage à la sociologie ou aux sciences politiques. Néanmoins, plusieurs aspects du sans-abrisme (mendicité, accès au logement ou au droit…), apparaissent alors sous un nouveau jour.
FCF – Comment vous est venue l’idée/l’envie, de conduire une recherche sur ce sujet ? En quoi cela a-t-il impacté votre étude ?
ASR – Au cours de mes études de droit, je me suis passionnée pour deux matières : l’administratif et le pénal, lesquelles ont guidé mon approche du traitement de la question que je me posais dans ma thèse. En parallèle, j’étais également bénévole au GENEPI, une association qui intervient en milieu carcéral. Cet engagement m’a conduit à m’interroger sur le rapport de force entre la puissance publique et les individus et tout particulièrement les plus fragiles. Je souhaitais alors plus particulièrement étudier des « populations » qui ne faisaient que peu l’objet de recherches juridiques.
Dans ce contexte, la première étape de mon travail a d’ailleurs été de tenter d’identifier ces publics et d’en dresser les contours : j’ai alors décidé de travailler sur les SDF lesquels me sont très rapidement apparu comme l’archétype de la précarité.
Le premier écueil de ce travail a été de ne pas tomber dans la réalisation d’un catalogue des éléments de droits qui s’appliquent aux SDF. En effet, les sources en la matière sont nombreuses. L’autre écueil a été de maintenir une position scientifique face à ce sujet, on a entendu des choses comme : « c’est pas du droit », « ce n’est pas de la technique juridique pure » ou encore « la personne n’est pas un objet juridique ».
FCF – Quelles sont les “découvertes” les plus marquantes que vous ayez faites ?
ASR – En premier lieu, j’ai été impressionnée par le décalage entre les moyens publics et privés qui sont déployés pour trouver des solutions et le nombre de personnes vivant à la rue en France, 112 000 environ selon l’INSEE. Donc la façon dont ces moyens sont utilisés interroge.
En parallèle de ce constat, il est également étonnant de voir qu’on continue de maintenir des présomptions de fautes à l’encontre des SDF. Il y a une volonté d’un traitement moral de la pauvreté dont l’on retrouve des traces dans le droit. Ces traces prennent des formes différentes comme l’existence d’infractions pénales taillées sur-mesure pour ce public. C’est notamment le cas de la « demande de fonds sous contrainte » qui est passée dans le langage courant comme la « mendicité agressive ». Elle est définie en droit comme « fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d’un animal dangereux, de solliciter, sur la voie publique, la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien ». Cette infraction prévue par le Code pénal apparaît pourtant comme étant redondante au regard de l’infraction d’escroquerie. Autrement dit, ce type de comportement est déjà réprimable avec le droit existant. De plus, il y a là une porosité du vocabulaire qui laisse la place à l’arbitraire.
FCF – Et quelles seraient les modifications souhaitables du droit?
ASR – En premier lieu une rationalisation des textes et des moyens mis en œuvre. Le droit applicable aux personnes sans-abri est un véritable millefeuille qui n’a, à aucun moment, été mis en cohérence. Pour vous donner une illustration sur la question du logement, j’ai eu sous les yeux un document du ministère du logement qui se trompait dans les dispositifs existants et applicables. On empile les solutions bancales ou incomplètes, sans possibilité de lecture transversale, ni de rationalisation. Et je ne prends même pas en compte les dispositifs extrêmement spécifiques et nombreux dédiés aux demandeurs d’asile.
En second lieu, je pense que l’important est l’accompagnement inconditionnel des personnes sans-abri. Les dispositifs actuels sont très contraignants et font régulièrement la preuve de leur inefficacité. En ce sens, je développe dans ma thèse la doctrine du Housing First, laquelle me semble être une solution plus efficace et moins coûteuse pour la collectivité. En outre, et en parallèle, c’est l’accès au droit de ces public qui pose question.
FCF – Pourquoi est-il important pour une fondation comme la Fondation Caritas France de s’intéresser à la recherche ?
ASR – En premier lieu c’est une superbe reconnaissance. Ce travail a été long, difficile et, par certains aspects, assez marginal. J’espère que ce prix pourra lui donner davantage de visibilité. A ce propos, et dans ma recherche d’un éditeur, la dotation du prix me permettra, je l’espère, de faire publier cette thèse. En effet, le but est que ce document soit lu et soit utile donc le prix est une superbe caisse de résonnance.
Par ailleurs, je trouve particulièrement intéressant qu’une fondation active sur ces sujets s’intéresse également à la recherche : cela peut permettre de prendre du recul sur les pratiques et de décloisonner les approches donc ce dialogue entre chercheurs et praticiens ne peut être que bénéfique !