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#10ansdeGénérosité - 10 lauréats du Prix de Recherche Caritas - 2016 - Thomas Aguilera

#10ansdeGénérosité - 10 lauréats du Prix de Recherche Caritas - 2016 - Thomas Aguilera

Créée sous l’égide de l’Institut de France, la Fondation de Recherche Caritas finance des recherches sur la précarité, la charité et la solidarité. Elle décerne, à l’occasion de son colloque annuel sur la pauvreté, le Prix de Recherche Caritas, doté de 10 000 euros, à un jeune chercheur en sciences sociales, pour épauler une recherche, une publication ou un projet de recherche innovant.

A l’occasion de ses 10 ans, la Fondation Caritas France vous propose de revenir sur le parcours des 10 lauréats du Prix Caritas.

Thomas Aguilera, la “gouvernance” des pauvres en questions

Thomas Aguilera est le dernier lauréat du Prix de Recherche Caritas (2016) pour sa thèse de science politique “Gouverner les illégalismes urbains. Les politiques publiques face aux squats et aux bidonvilles dans les régions de Paris et de Madrid” qui a été publiée aux éditions Dalloz en 2017.  L’auteur y propose une étude comparative des réactions de la puissance publique face aux illégalismes de logement. Quelles différences, entre deux régions capitales en France et en Espagne, dans les réponses (ou l’absence de réponses) à ces problématiques ? Comment les habitants des grandes villes se mobilisent-ils pour survivre ou mettre leurs quartiers en mouvement ?

 

FCF – Comment vous est venue l’idée/l’envie, de conduire une recherche sur ce sujet ? En quoi cela a-t-il impacté votre étude ?

TA – Pour des raisons personnelles et universitaires. En premier lieu, j’avais déjà été confronté à ces situations de logement précaire et informel, notamment lors de stages et voyages. En second lieu, si des géographes, des sociologues ou des anthropologues s’étaient déjà penchés sur le sujet, la littérature manquait à mon sens d’une approche par les politiques publiques d’une part, et de façon comparée d’autre part.

Le fait qu’il existe encore de nos jours des bidonvilles en France et en Espagne alors que la question se pose depuis des décennies interrogeait également la capacité des acteurs publics à intervenir et solutionner le problème. Les explications que l’on pouvait entendre dans le contexte français s’appuyaient sur des facteurs ethniques ou culturels. Je voulais voir des cas similaires et contrastés afin de dé spécifier le débat en décentrant le regard, en m’intéressant à l’Espagne par exemple. J’avais déjà réalisé un premier travail sur les squats et je voulais savoir comment les acteurs publics considéraient ces logements au-delà des accusations d’incapacité ou des réponses strictement répressives.

 

FCF – Quelles sont les “découvertes” les plus marquantes que vous ayez faites ?

TA – Il y a trois principaux points saillants. Tout d’abord, à la question de si ces illégalismes sont gouvernables, la réponse est oui. Ils ne sont pas toujours gouvernables, mais oui, dans certains cas on peut résorber les bidonvilles et c’est même une politique qui peut s’institutionnaliser : c’est notamment le cas à Madrid. Sous une autre forme, plus souple, c’est aussi le cas à Paris lorsque la Ville de Paris signe des conventions d’occupation précaire avec certains collectifs de squatteurs. Mais les politiques publiques produisent également des illégalismes : l’Etat produit de l’illégalité et l’action publique, même en cherchant à la résorber, produit de la vulnérabilité. Enfin, les acteurs publics délèguent aussi la charge aux ONG de venir en aide à des habitants expulsés régulièrement de leurs lieux de vie.

Ensuite, ce dernier élément est fortement lié au second point qui est celui de l’inaction publique. On assiste alors à un véritable déploiement de stratégies pour ne pas agir. Les responsables politiques locaux vont considérer que ce n’est pas de leur ressort, renvoyer vers l’Union Européenne…

Enfin, gouverner ces illégalismes aboutit à sélectionner puis à hiérarchiser les bénéficiaires en fonction de choix politiques mais aussi des contraintes financières et sociales.

Face à l’action publique, les citoyens peuvent, dans certaines conditions, à des moments précis, lorsqu’ils combinent plusieurs registres d’action, produire des effets importants.

 

FCF – Qu’est-ce que le Prix Caritas a changé pour vous, à l’époque et aujourd’hui ?

TA – Au-delà du fait que le prix a donné de la visibilité à mon travail, ce qui m’intéresse c’est surtout qu’il contribue à rendre visible un sujet important socialement et politiquement qui mérite d’être pris en main par les sciences sociales. Aujourd’hui, la question du logement n’est pas toujours sur le haut de l’agenda politique. Dans ce contexte, reconnaître que ce sujet est important permet de dire des choses nouvelles et d’apporter des éléments au débat.

Le Prix de Recherche Caritas montre aussi qu’il est possible de faire de la recherche de long court, comparative, avec des données qualitatives et quantitatives. Travaillant dans des réseaux de recherche internationaux, la dotation du prix n’est pas anodine, c’est aussi important de sortir des frontières nationales voire européennes. La conférence de remise du Prix a également été l’occasion de diffuser plus largement les résultats de la recherche auprès de praticiens, associations et personnalités.

 

FCF – Pourquoi est-il important pour une fondation comme la Fondation Caritas France de s’intéresser à la recherche ?

TA – Parce que cela montre que l’on peut tenter de “tenir les deux bouts” d’un même sujet en allant de la recherche à l’action. Et aussi parce qu’une société sans recherche est une société en danger car il lui manque un recul essentiel pour engager le débat sur les sujets qui la concernent. Il est important de soutenir la recherche en sciences sociales car aujourd’hui elle est menacée en France et partout ailleurs en Europe. C’est une contribution à la survie de la critique sociale et politique.

Retrouvez le portrait de notre lauréat 2015 !