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Pierre-Antoine Chauvin

Pierre-Antoine Chauvin

Pierre-Antoine Chauvin est le lauréat du Prix de Recherche Caritas 2021 pour sa thèse “L’administration de l’attente, politiques et trajectoires de relogement des familles sans domicile à Paris”. Consacré à la régulation des files d’attente pour le logement social, ce travail de recherche s’appuie notamment sur une “ethnographie statistique” du travail administratif qui permet de comprendre en détail les mécanismes d’attribution d’un bien particulièrement convoité au sein de l’espace parisien.

FCF – Comment vous est venue l’idée/l’envie de conduire une recherche sur ce sujet ? En quoi cela a-t- il affecté votre étude ?

PAC – Ce projet de thèse est l’aboutissement d’une trajectoire intellectuelle au sein de Sciences Po Rennes. Je m’étais engagé au départ dans une préparation aux concours administratifs. Assez rapidement, je me suis rendu compte que j’étais davantage intéressé par l’administration en tant que fait social plutôt que comme futur professionnel. Je me suis donc mis à travailler sur ce que l’on appelle le “phénomène bureaucratique” appréhendé non plus seulement du strict point de vue organisationnel mais aussi du point de vue de la mise en œuvre des politiques publiques, en particulier de la politique du logement.

Après un stage réalisé, en 2011, au sein de la Direction du logement et de l’habitat (DLH) à la Mairie de Paris, je me suis d’abord lancé en quête d’un financement de thèse. Un an plus tard, la Mairie de Paris a accepté ma candidature pour un contrat CIFRE de 3 ans au sein du Bureau du relogement et de l’intermédiation locative (BRIL). Le choix de reconstituer une cohorte de 696 familles sans-domicile hébergées à l’hôtel et leurs destins résidentiels supposait de toute évidence une durée d’enquête beaucoup plus longue. Ce travail de reconstitution a été réalisé à partir du fichier des demandeurs·euses de logement à Paris et de l’exploitation minutieuse de plus de 400 dossiers personnels collectés au sein des archives municipales. Il m’a fallu ensuite près d’une année pour effectuer les principaux traitements statistiques puis, enfin, deux années supplémentaires pour exploiter les matériaux qualitatifs (dont 40 entretiens biographiques menés dans les hôtels meublés parisiens) et rédiger le manuscrit. Au total, ce projet de recherche aura nécessité près de six ans de travail, soit le double de la durée envisagée initialement…

FCF – Quelles sont les “découvertes” les plus marquantes que vous ayez faites ?

En rédigeant mon projet de thèse, je me suis rendu compte que la question de la mise en œuvre du droit au logement et de ses effets concrets sur les individus demeurait un point aveugle de la recherche en sciences sociales. Ou plutôt, le sujet était principalement traité à partir d’approches strictement qualitatives et rarement assises sur des données longitudinales. Assez rapidement, l’enjeu qui s’est dégagé était de mesurer les effets agrégés du travail administratif réalisé quotidiennement au guichet du logement social. 

La principale question, simple d’apparence, à laquelle je souhaitais répondre était la suivante :  Qui est relogé en priorité, comment et dans quels délais ? Mon enquête a tout d’abord confirmé la conditionnalité économique du droit au logement : les candidates doivent non seulement respecter certains plafonds de ressources mais elles sont également soumises à un seuil minimal de revenu d’activité situé aux alentours d’un demi-SMIC net (soit 615 euros au 1er janvier 2021).

Les résultats de mon travail suggèrent, en outre, l’existence d’un “effet guichet” et d’une transformation inégalitaire des chances d’accès au logement social : à revenu égal, les familles sont orientées de manière inégale au sein des différentes files d’attente. La « priorité » est également accordée sur la base de critères extra-juridiques : les familles doivent notamment adhérer explicitement aux valeurs promues par les classes moyennes qui les accueillent au guichet (éthique du travail et de l’épargne, idéal d’autonomie, etc.).

Par ailleurs, je montre que ces files d’attente n’offrent ni les mêmes chances, ni les mêmes délais d’accès au logement social. À l’origine de cette situation, l’on trouve une inflation des labellisations et des dispositifs de relogement qui débouchent sur une hiérarchisation des files d’attente. Cette hiérarchisation progressive se fait in fine au détriment de la moins sélective d’entre elles, celle du droit au logement opposable (DALO), qui est concurrencée aujourd’hui par d’autres dispositifs gestionnaires mis en place au nom du droit au logement.

FCF – Pourquoi est-ce important pour la Fondation Caritas France de valoriser la recherche ?

PAC – Je pense que les fondations ont un rôle prépondérant à jouer sur les questions de pauvreté, notamment à l’aune de l’assèchement actuel des financements publics. Ce prix permet ainsi de rappeler qu’il faut des moyens pour faire de la recherche et lancer des enquêtes auprès de populations souvent difficiles d’accès. 

Enfin, la dotation du Prix va également me permettre d’envisager la publication de mon enquête sous forme d’ouvrage et de lui donner une plus grande visibilité notamment en dehors du champ académique. De ce point de vue, le Prix de Recherche Caritas offre une vraie reconnaissance du travail accompli sur le temps long et favorise une plus large circulation auprès des professionnels (praticiens·iennes, chercheurs·euses, etc.) qui travaillent sur ces questions. 

 

Pierre-Antoine Chauvin