Aller au contenu principal

Magali Ramel

Magali Ramel

FCF – Comment vous est venue l’idée / l’envie, de conduire une recherche sur ce sujet? En quoi cela a-t-il impacté votre étude ?

Un des éléments déclencheurs de mon intérêt pour les questions d’alimentation et de pauvreté a été la découverte des travaux de Malthus (économiste anglais XIXème siècle).  Il explique les causes de la faim par une rupture d’équilibre entre les moyens de production agricole et la pression démographique. Les situations de faim rétablissent l’équilibre entre ces deux variables et il prône donc, avec d’autres économistes, l’abolition de toute loi d’aide aux plus pauvres, à cette époque. Or ces préoccupations (nourrir le monde compte tenu de la pression démographique et des limites planétaires) sont encore pleinement d’actualité. J’ai voulu approfondir l’approche humaniste et fondée sur les droits pour penser ces enjeux, et c’est ce qui m’a conduit au sujet du droit à l’alimentation. Les fondements de ce droit reposent sur les travaux d’Amartya Sen (1981) qui montre que la faim n’est pas nécessairement imputable à un manque de nourriture disponible mais surtout à un défaut de capacité d’accès à cette nourriture, en raison notamment de la perte d’autonomie, la marginalisation et la pauvreté. Cette optique montrant la forte influence des questions sociales et du cadre légal, ouvre alors à des perspectives juridiques fondées sur les droits de l’Homme pour lutter contre la faim et la malnutrition.

Mon mémoire de recherche de Master 2 (2011-2012) portait sur ce sujet, pour étudier en droit comparé la reconnaissance et la mise en application du droit à l’alimentation. J’ai alors été très étonnée de constater que ce droit n’était reconnu dans aucun pays dit développé, et en particulier ni en France, ni au niveau européen. Par la suite, j’ai cherché à mieux connaître les situations de précarité alimentaire en France et j’ai pu travailler avec ATD Quart Monde sur une étude intitulée « Se nourrir lorsqu’on est pauvre – Analyse et ressenti de personnes en précarité ». Les témoignages font part notamment du sentiment de perte de dignité, du ressenti de préjugés sociétaux, ou encore de la difficulté du positionnement social et de la participation citoyenne, en raison des difficultés rencontrées par ces personnes pour parvenir à se nourrir et nourrir leur famille. Ce sont autant d’éléments qui pourraient être qualifiés d’atteintes au droit à l’alimentation.

J’ai donc rédigé mon projet de thèse sur la base de ces deux études, avec une problématique restée inchangée depuis le début de ma thèse : à savoir m’interroger sur l’intérêt que présenteraient la reconnaissance et la protection juridique du droit à l’alimentation en France, par rapport aux orientations actuelles du droit et des politiques françaises, au regard de l’enjeu de la protection des droits et besoins des personnes connaissant la précarité alimentaire. 

 

FCF – Quelles sont les points les plus saillants de votre thèse ?

La démonstration repose sur la définition des dimensions de l’accès à l’alimentation pour ensuite pouvoir montrer l’importance, voire la nécessité de reconnaître et protéger le droit à l’alimentation en France.

Tant que les contours de la lutte contre la précarité alimentaire sont limités à l’objectif de garantir l’accès de tous à une alimentation en quantité suffisante et de qualité, les orientations actuelles du droit et des politiques françaises peuvent apparaître pertinentes pour répondre aux besoins des personnes (reconnaissance d’un objectif politique, mesures de protection sociale et dispositif de l’aide alimentaire d’urgence).

Mais l’acte alimentaire ne se résume jamais à la satisfaction d’un besoin physiologique et il convoque toujours des dimensions identitaires, sociales, culturelles et politiques, c’est-à-dire des dimensions gastronomiques (au sens étymologique du terme), y compris dans les situations de faim et malnutrition. Elargir ainsi l’approche, permet de souligner les inadéquations des orientations actuelles en France, au regard des objectifs de lutte contre la pauvreté et les exclusions sociales dans l’accès à l’alimentation et de protection des droits et libertés des personnes en situation de précarité alimentaire. 

Cela implique un changement de paradigme dans la définition des enjeux associés à la lutte contre la précarité alimentaire, en remettant le contenu normatif du droit à l’alimentation au centre de l’approche. Cette perspective permet alors d’apporter de nouveaux éclairages pour démontrer l’autonomie de ce droit de l’Homme par rapport à des droits qui lui seraient connexes (dont la garantie de moyens convenables d’existence) et d’établir la nécessité de sa reconnaissance et de sa protection en France, et plus largement dans l’ensemble des pays dits développés. 

 

FCF – Qu’est-ce que le Prix Caritas a changé pour vous ?

La remise du Prix Caritas a été un moment très fort pour moi. Le travail de thèse s’inscrit sur du temps long et demande de nombreuses concessions et d’investissements personnels pour arriver à son terme. La soutenance marque évidemment une étape essentielle et la reconnaissance académique du travail réalisé et de sa qualité scientifique. Mais la portée du Prix Caritas est d’un tout autre ordre, en tout cas tel que je l’ai vécue : il reconnaît la pertinence que peut avoir ce travail au regard des enjeux sociétaux de lutte contre la pauvreté et les exclusions. Du fait tant de la notoriété de ce prix que de sa générosité, il me conforte dans l’idée que cela valait la peine de m’investir dans cette thèse ! Et ma thèse qui était jusque-là lue seulement par quelques spécialistes, reçoit grâce au Prix Caritas un écho, une visibilité et une valorisation bien plus large, et j’en suis infiniment reconnaissante.

 

FCF – Pourquoi est-il important pour la Fondation Caritas France de s’intéresser à la recherche ?

Il me semble que la Fondation Caritas France contribue à établir un lien et un dialogue, entre la recherche et la société. Le prix permet d’encourager la recherche sur des sujets qui trouvent écho avec les enjeux de terrain relatifs à la pauvreté et aux exclusions. Il permet également de valoriser les résultats de ces recherches au sein de la société, auprès des acteurs tant publics que privés et peut-être même auprès des acteurs de terrain. Ainsi la Fondation Caritas permet cette nécessaire complémentarité entre l’urgence et la réactivité des réponses face aux situations de pauvreté et d’exclusion et le temps long de la recherche visant à comprendre les causes sous-jacentes de ces situations et allant, peut-être, jusqu’à proposer certaines réorientations d’approches.

Magali Ramel