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Frédéric Ballière

Frédéric Ballière

FCF – Comment vous est venue l’idée / l’envie, de conduire une recherche sur ce sujet ? En quoi cela a-t-il impacté votre étude ?

J’ai d’abord eu une première carrière de travailleur social auprès d’une population exilée. Dans le cadre de cette expérience de terrain, j’ai été plusieurs fois confronté à des personnes en demande d’asile et déboutées qui se retrouvaient dans des situations inextricables. 

 

Pour tenter de dépasser les limites de mon action, j’ai réalisé une recherche de master sur ce sujet. Avançant dans cette enquête, j’ai progressivement pris conscience que bien d’autres acteurs que les travailleurs sociaux gravitaient autour de ces situations. C’est ce qui m’a amené, en thèse, à élargir ma focale pour m’intéresser au rôle des intervenants communautaires et des associations militantes auprès des exilés.

 

Ma recherche doctorale explore la prise en charge d’une population qui n’est pas admise au séjour mais qui est maintenue en France (au sens où elle n’est pas reconduite). Elle met au jour l’existence d’un espace d’assistance qui se tient au croisement des logiques institutionnelles, militantes et communautaires, ce que j’ai appelé l’Entre-mondes de l’aide aux déboutés.

 

FCF – Quelles sont les points les plus saillants de votre thèse ?

En premier lieu, je voulais documenter les épreuves vécues par les personnes déboutées dans leur parcours d’exil. En effet, ces dernières doivent faire face à des difficultés sociales extrêmement importantes. N’ayant pas de cadre légal dans lequel évoluer, leur rapport aux aux droits et aux institutions est instable et incertain, ce qui complique leur possibilité d’accès au logement, à la santé….

Au-delà, mon travail montre que  cette situation d’illégalité constitue un moyen pour l’Etat d’assurer son contrôle sur cette population. Via la délivrance d’obligation de quitter le territoire Français, systématiquement remises mais rarement mises à exécution et l’ouverture de perspective de régularisation,  les pouvoirs publics s’assurent de la soumission de ces personnes au traitement qui leur est réservé. A tel point que les personnes déboutées du droit d’asile sont dans une situation d’hyper-observance de la loi, ou vont même éviter de se retrouver dans l’espace public etc.

Enfin, ma thèse révèle l’existence d’une espace d’assistance en partie tenu secret et relativement autonome vis à vis des institutions. Celui-ci repose avant tout sur des formes d’engagement individuels. Très concrètement, l’Entre-mondes permet à des travailleurs sociaux, des militants, des intervenants communautaires de mettre en commun des pratiques et des ressources qui agissent d’ordinaire en ordre dispersé. Il donne naissance à des interventions hybrides qui combinent logiques d’action privées et publiques, légale et illégale qui se déploient le plus souvent dans l’ombre des institutions à partir des situations prises en charge.  C’est en quelque sorte  une forme de protection sociale locale très souple qui se tient à l’extrême limite de l’Etat et qui permet aux déboutés de ne pas tomber dans le vide institutionnel. 

 

FCF – Qu’est-ce que le Prix Caritas a changé pour vous ?

C’est d’abord un moyen de diffuser de façon élargie les résultats de mon enquête, dans le champ académique mais également  auprès des acteurs concernés (associations, acteurs du travail social…). Un prix comme le Prix Caritas met en lumière des recherches sur les questions de pauvreté, d’exclusion…  De façon plus personnelle, c’est une reconnaissance de la capacité de chercheurs issus du monde professionnel ou militant à réaliser des travaux universitaires de qualité.

 

FCF – Pourquoi est-il important pour la Fondation Caritas France de s’intéresser à la recherche ?

Pour pleins de raisons ! Pour inspirer des formes de solidarités nouvelles, pour capitaliser sur des actions qui existent déjà de façon marginale ou souterraine, pour mieux éclairer ce que sont les phénomènes de précarité et de pauvreté… Mais aussi, de façon plus critique, pour mettre au jour les limites et les contradictions de l’action publique en direction des populations les plus exposées aux risques sociaux. 

Frédéric Ballière