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Prix de Recherche Caritas 2019 - Gaspard Lion, habiter en camping

Prix de Recherche Caritas 2019 - Gaspard Lion, habiter en camping

Créée sous l’égide de l’Institut de France, la Fondation de Recherche Caritas finance des recherches sur la précarité, la charité et la solidarité. Elle décerne, à l’occasion de son colloque annuel sur la pauvreté, le Prix de Recherche Caritas, doté de 10 000 euros, à un jeune chercheur en sciences sociales, pour épauler une recherche, une publication ou un projet de recherche innovant.

A l’occasion de ses 10 ans, la Fondation Caritas France vous propose de revenir sur le parcours des 10 lauréats du Prix Caritas.

Gaspard Lion, les classes populaires et le logement « non-ordinaire »

Gaspard Lion a reçu le Prix de Recherche Caritas 2019 pour sa thèse : « Habiter en camping. Trajectoires de membres des classes populaires dans le logement non ordinaire ». Après l’obtention de son baccalauréat, il entame des études de sciences politique et géographie. Passionné par les questions de territoire, il entre ensuite à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où son mémoire de recherche portera sur les campements du bois de Vincennes. Il est aujourd’hui Docteur en sociologie et Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université Paris Nanterre.

Des campements au camping

Sa thèse de doctorat, basée en partie sur une période d’observation participante, l’a amené à vivre dans des campings qui sont devenus la résidence principale d’hommes et de femmes aux trajectoires variées. Son travail permet de découvrir une forme d’habitat précaire trop souvent ignorée et met en avant la précarité et l’extrême hétérogénéité des parcours de ceux qui y vivent.

 

FCF – Comment vous est venue l’idée/l’envie de conduire une recherche sur ce sujet ? En quoi cela a-t-il impacté votre étude ?

GL – Après un mémoire de recherche réalisé en sociologie sur la situation de personnes privées de logement installées dans des tentes et cabanes au bois de Vincennes à Paris . Je me suis rendu compte qu’il existait relativement peu de travaux sur les situations de logement non ordinaire, situées entre la « rue », dans ce qu’elle a de plus extrême en termes de dénuement et de privation, et le logement standardisé. Surtout, je me suis aperçu que les travaux sur la « crise du logement » avaient largement laissé de côté les situations de « mal-logement » et de pauvreté en milieu rural et périurbain, en se focalisant sur les villes et en particulier sur les grandes agglomérations. Pour pallier à cet « angle mort », j’ai donc décidé d’étudier, dans le cadre de ma thèse, les terrains de camping investis comme uniques résidences, aussi après avoir constaté qu’ils s’étaient massivement développés en périphérie des grandes agglomérations au cours des dernières décennies et qu’ils n’avaient fait l’objet d’aucune recherche en France et de très peu de travaux à l’étranger (malgré l’ampleur du phénomène, 20 millions de personnes pour les seuls Etats-Unis).

 

FCF – Quelles sont les “découvertes” les plus marquantes que vous ayez faites ?

GL – Ma thèse a plusieurs enseignements, je peux en retenir ici deux principaux. En premier lieu, s‘il est tentant d’imaginer les personnes vivant dans un même lieu de façon homogène, elle montre qu’il existe plusieurs types d’habitats, de trajectoires, d’expériences et de styles de vie associés à cette forme d’habitat.

Mon travail a permis de distinguer au moins 3 grands types de profils, de trajectoires et de styles de vie :

  • Un premier type composé de personnes, disposant de ressources stables, généralement en emploi, assez souvent en couple et qui décident de quitter le marché résidentiel classique. Cette décision est liée à un désir d’accession à l’habitat individuel qui n’a généralement pas pu être satisfait sur le marché résidentiel classique du fait des propriétés sociodémographiques de ces personnes (souvent célibataires à ce moment de leur parcours et s’estimant trop âgés pour se réendetter) et du caractère socialement de plus en plus sélectif du marché de l’accession à la propriété. Au camping, ces personnes apprécient ainsi de pouvoir devenir ou redevenir propriétaires de leur habitat, de se libérer des contraintes locatives connues antérieurement, de pouvoir participer à des sociabilités conviviales et à des loisirs associés à cette forme de logement.
  • Un deuxième type de profil est composé de personnes qui vivent une forme de déclassement social et résidentiel. Elles ont la plupart du temps connu des situations de logement « ordinaires » et vivent très douloureusement de devoir habiter au camping. Alors qu’elles ont la plupart du temps des parcours relativement stables, elles vont très mal supporter cette nouvelle forme de logement, d’autant qu’elles s’installent généralement dans des habitats très sommaires et dégradés, et vivre leur situation largement sous l’angle du stigmate et de l’humiliation. Ces personnes ont ainsi tendance à se couper d’un certain nombre de relations et à se replier sur leur habitat tout en se refusant à l’entretenir et à l’aménager, estimant que leur situation n’est que provisoire.

Le troisième type regroupe des personnes venant des fractions les plus précarisées des classes populaires et qui ont souvent déjà connu la pauvreté ou des formes de logement non ordinaires avant d’arriver au camping. Elles sont parfois passées par la rue ou par des squats et arrivent en moyenne deux ans après la perte de leur logement. Elles s’accommodent ainsi beaucoup plus facilement que le « groupe » précédent de cette nouvelle forme d’habitat et trouvent généralement des formes de satisfaction au sein des campings, liées au réseaux de sociabilité et d’entraide, à la possibilité de s’approprier leur habitat en l’améliorant par auto-construction, et aux parcelles de jardin qui leur permettent de bricoler, de jardiner et de pêcher, soit d’activer un certain nombre de dispositions sociales et résidentielles liées à leur socialisation antérieure et à un mode de vie populaire auquel elles se montrent particulièrement attachées.

 

FCF – Qu’est-ce que le Prix Caritas a changé pour vous, à l’époque et aujourd’hui ?

Effectivement, la précarité de ce type d’habitat a plusieurs visages. Du point de vue légal, il faut d’abord souligner le fait que ces habitats ne sont pas reconnus comme des logements à part entière et qu’ils sont ainsi dépourvus de tous les droits et garanties liés au bail locatif. La conséquence directe c’est l’omnipotence du gestionnaire de camping (ou de la mairie dans le cas d’un camping municipal). Celui-ci peut modifier le règlement intérieur à sa guise et imposer ses vues : il peut interdire d’étendre le linge sur une parcelle par exemple, obliger les visiteurs à être annoncés à l’avance ou prononcer l’exclusion du camping. Une autre forme de précarité est liée à la forme de l’habitat. Même les mobile-home récents et donc en bon état sont extrêmement difficiles à déplacer, et un tel déplacement est coûteux. Si vous êtes expulsés vous risquez fort de devoir l’abandonner et si vous réussissez à le déplacer, il vous faut trouver un camping qui vous accueille alors que certains ont des listes d’attente de plusieurs années et demandent le versement de « droits d’entrée » pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers d’euros.

 

FCF – Pourquoi est-il important pour une fondation comme la Fondation Caritas France de s’intéresser à la recherche ?

GL – C’est important dans la mesure où cela permet de diffuser des travaux de recherche à des publics plus larges que le seul public universitaire. Par ailleurs, ce prix peut permettre une meilleure prise en compte des formes de logement non ordinaires et des formes de précarité et de pauvreté en milieu rural. Car en l’état actuel des choses il y a une forme d’invisibilité sociale de l’habitat en camping qui autorise tous les abus de pouvoir.

 

Retrouvez le portrait de la lauréate du 2ème prix de recherche 2019 !