Fondation Caritas
À l’occasion de la Journée Annuelle des Fondations abritées, organisée le 2 octobre 2025, la Fondation Caritas France a réuni chercheurs, praticiens et acteurs de terrain autour d’une table ronde consacrée aux enjeux du pouvoir d’agir. L’objectif de cet échange était d’interroger le rôle des fondations dans la promotion de cette approche, au service des associations et des bénéficiaires qu’elles accompagnent.
Le pouvoir d’agir, notion au croisement des sciences sociales et de la pratique associative, est défini par Gaëlle Levossé comme « un processus permettant aux personnes d’accéder à un plus grand contrôle sur leur existence, en partant de leurs aspirations et de ce qui est important pour elles ». Cette définition invite à repenser les modalités d’accompagnement pour favoriser l’autonomie et l’émancipation des personnes en situation de vulnérabilité.
Quatre intervenants ont nourri la réflexion par la diversité de leurs parcours et de leurs expériences :
– Frédéric Ballière – chercheur sur les thématiques du pouvoir d’agir, lauréat du Prix de Recherche Caritas en 2022 et engagé dans l’Association nationale pour le développement du pouvoir d’agir, a apporté une analyse sociologique de cette notion.
– Leslie Gomez – en charge des partenariats privés chez Entrepreneurs du Monde, une ONG qui accompagne les personnes en très grande précarité dans leur projet entrepreneurial, a proposé une vision basée sur l’expérience de terrain avec le développement du pouvoir d’agir dans les contextes internationaux.
– Claude Bobet – directeur de l’engagement et de l’animation au Secours Catholique depuis 2001, a témoigné de l’importance de la reconnaissance de la dignité dans les fondements du pouvoir d’agir.
– Martine Volard – fondatrice de la Fondation Espérance de Fraternité abritée à la Fondation Caritas et coordinatrice nationale des ateliers de français à l’association Le Rocher, a témoigné des défis propres aux fondations dans la mise en œuvre de cette démarche
La dignité comme socle du pouvoir d’agir
Un premier axe de réflexion a porté sur la reconnaissance de la dignité et l’écoute des aspirations individuelles comme conditions préalables au développement du pouvoir d’agir. Selon Claude Bobet, la société tend à réduire les personnes en situation de précarité à des stigmates qui les invisibilisent : “On rencontre des personnes qui ne sont plus vues que par leur stigmate qu’on leur pose. Et donc, ça les cache, ça les invisibilise. On va dire, c’est des chômeurs, voire des profiteurs, des assistés. Pas des personnes en recherche d’emploi. Le stigmate est fort. Et ce qui est destructeur, c’est qu’il s’appuie sur les manques, pas sur les ressources.”
Cette approche stigmatisante engendre une perte de capacité à agir, vécue comme une véritable souffrance. Inversement, redonner aux personnes des responsabilités et des espaces de participation leur permet de retrouver leur place dans la communauté et de redevenir actrices de leur vie sociale et professionnelle.
La confiance comme levier d’émancipation
Au-delà de la dignité, la confiance apparaît comme un levier essentiel du développement du pouvoir d’agir. Leslie Gomez a illustré cette dynamique à travers la pratique du micro-crédit solidaire au sein d’Entrepreneurs du Monde. L’octroi de crédits sans garantie de remboursement, à des personnes exclues des circuits financiers traditionnels, devient une manière de reconnaître leur potentiel et de valoriser leur projet : « Ce crédit permet de toucher les plus pauvres qui sont exclus de la micro-finance classique, (…) et de permettre à ces hommes et ces femmes de développer leur activité génératrice de revenus ».
Ainsi, la confiance accordée par l’institution ouvre un espace d’expérimentation, favorise l’estime de soi et constitue un moteur d’émancipation durable.
Les fondations face au défi de la temporalité et de l’incertitude
Martine Vollard a, quant à elle, souligné les tensions entre les exigences institutionnelles des fondations et la logique propre au développement du pouvoir d’agir. Cette démarche produit en effet des « fruits inattendus », qui ne correspondent pas toujours aux indicateurs de performance habituels. Selon elle, favoriser le pouvoir d’agir implique d’accepter d’investir dans des projets moins cadrés, moins quantifiables, mais porteurs d’impacts profonds sur la trajectoire des bénéficiaires.
Martine Vollard a partagé l’histoire de Fatima, une maman arrivée dans l’association Le Rocher pour atteindre un niveau A2 en français afin d’obtenir sa carte de résidence. Après huit ans d’accompagnement, Fatima a pris confiance en elle et a affirmé sa volonté de travailler : “Fatima n’a pas obtenu son niveau A2, l’objectif n’est pas atteint de ce côté-là mais par contre elle travaille et elle est super heureuse. Vous voyez les fruits [de l’accompagnement] sont très différents mais c’est la personne qui, petit à petit, a fait évoluer ses propres objectifs”.
Une approche transformatrice pour la société
Enfin, Frédéric Ballière a replacé le pouvoir d’agir dans une perspective plus large, en le considérant comme un enjeu démocratique et sociétal. Selon lui, « le pouvoir d’agir permet de laisser la place à d’autres savoirs, de participer à la reconnaissance des personnes, et de transformer le rapport entre les bénéficiaires et les institutions ».
Cette approche, fondée sur la dignité, la confiance et l’écoute, requiert une évolution de posture de la part des accompagnants comme des financeurs.
Elle suppose de privilégier la flexibilité, l’adaptation et l’attention aux aspirations singulières des personnes accompagnées.
Conclusion
Le pouvoir d’agir constitue non seulement un levier d’autonomie individuelle, mais également un vecteur d’émancipation collective et de transformation sociale. Reconnaître la dignité inaliénable des personnes, leur accorder confiance et leur permettre de redéfinir leurs propres objectifs sont autant de conditions pour qu’elles reprennent en main leur parcours de vie.
Ainsi, en soutenant des démarches centrées sur le pouvoir d’agir, les fondations sont appelées à dépasser une logique de résultats immédiats pour accompagner des processus de long terme, porteurs de changements durables et profonds.
👉 Le replay de la conférence est disponible sur la chaîne YouTube de la Fondation Caritas France : https://www.youtube.com/watch?v=XWP2VSYPgAA